mardi 10 mai 2011

La Toile tunisienne perd confiance en son gouvernement


beji presseDeux mois après un premier bras de fer avec les jeunes de la kasbah, qui s’est conclu sur l’annonce de l’organisation d’élections pour une assemblée constituante le 24 juillet, le gouvernement de transition tunisien est à nouveau confronté à une crise de confiance. La répression violente des manifestations du 6 mai à Tunis, dont certains ont témoigné, à l’instar de Shiran Ben Abderrazak, sur le site participatif Nawaat ou du blogueur Bassem Bouguerra dans une vidéo en arabe, a marqué les esprits. Première cible de la répression, les journalistes ont répondu par un communiqué de leur syndicat national (en arabe sur le blog Tunisia Res), dénonçant des atteintes à la liberté d’expression et d’information.
“En quelques heures, le pays qui se trouvait déjà dans une situation précaire liée aux difficultés de la phase de transition, sombre de nouveau dans la violence. Un mort, des journalistes agressés, des manifestants arrêtés… Nous assistons depuis hier à un triste spectacle digne des pires heures de la dictature Ben Ali”, observe Selim sur son blog Carpe Diem, au lendemain de ces manifestations. Preuve, selon lui, de l’extrême fragilité du pays mais surtout de l’irresponsabilité des gens qui en sont à l’origine. Il met ainsi en cause l’ancien ministre de l’intérieur Farhat Rajhi qui, par ses récentes déclarations, a mis le feu aux poudres ; les journalistes ; et “ceux qui sont censés diriger momentanément ce pays et dont le silence est insupportable face à la montée de la violence”.
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Un dessin de Z, à retrouver sur son blog Débat Tunisie.
Quelques jours plus tard, sur la Toile tunisienne, l’apaisement n’est toujours pas de mise, du fait de “la barbarie de la répression policière”, estime Mohamed Yosri Ben Hemdène, du blog L’œil attentif. Car, analyse-t-il, “ce que Farhat Rajhi avait dit n’est pas réellement une surprise pour la rue tunisienne. Tout le monde s’en doutait. Les manifestations [contre le premier ministre de transition Béji Caïd Essebsi] ont commencé avant les déclarations de Rajhi, et les rumeurs d’un éventuel coup d’Etat orchestré par Rachid Ammar, actuel chef d’état-major des armées, se sont répandues depuis la démission de Mohamed Ghannouchi, ex premier ministre au sein du premier gouvernement de transition”.
Pourtant, le gouvernement de transition s’est entre-temps expliqué sur les dérapages sécuritaires. Cible d’une pétition en ligne appelant à son départ, le ministre de l’intérieur Lahbid Essid a présenté ses excuses aux journalistes agressés (sur sa page Facebook notamment). Mais, pour Selim, ses excuses“n’ont fait que renforcer l’impression de son incapacité - ou bien son absence de volonté ? - à contrôler d’une part la brutalité d’une police encagoulée et qui agit toujours de façon arbitraire et en toute impunité, et d’autre part les jeunes casseurs qui pillent et saccagent tout sur leur passage, profitant de ces moments d’instabilité pour renforcer l’impression de chaos”.
Le blogueur Sami Ben Abdallah estime, quant à lui, qu’il fallait présenter des excuses aussi aux manifestants qui étaient sauvagement réprimés, annoncer la constitution d’un Comité d’investigation indépendant et annoncer ses résultats le plus vite possible. Beji Caid Essebsi osera-t-il limoger Habib Essid, le ministre de l’intérieur, ou aura-t-il le courage de présenter des excuses publiques à tous les manifestants tabassés et non pas aux seuls journalistes ou annoncer carrément sa démission, comme l’avait fait le général de Gaulle au lendemain de mai 1968 ?”


Débat télévisé du premier ministre de transition tunisien Béji Caïd Essebsi le 8 mai 2011 (en arabe).
Le second discours-débat télévisé “de crise” du premier ministre de transition, dimanche 9 mai au soir, était également très attendu. Malgré les événements du 6 mai,  un sondage réalisé le 8 mai et publié par le journal électronique Kapitalisrévèle que M. Essebsi demeure la personnalité politique en qui les Tunisiens ont le plus confiance (39,5 %). Deux tiers des sondés ont même jugé les propos de M. Rajhi contraires à l’intérêt du pays. Pourtant, M. Essebsi n’a pas vraiment convaincu la Toile tunisienne. Sur la page Facebook du groupe Tunisie, à la question “les propos de Béji Caïd Essebsi vous ont-ils convaincu ?”, 65 % des quelque 24 000 votants répondent non.
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Sur la page Facebook du groupe Tunisie, des internautes répondent à la question “quelles sont vos impressions après le débat avec Béji Caïd Essebsi ?”
Pour Mohamed Yosri Ben Hemdène, auteur du blog L’œil attentif“Essebsi a enfin parlé… pour ne rien dire”. Selon lui, le premier ministre de transition “s’est montré plutôt rigide sur ses positions”, réglant ses comptes avec Farhat Rajhi, comme le rapporte le journal électronique Kapitalis“sans donner des preuves concrètes de l’innocence du gouvernement, hormis sa grande ’surprise’”.
Noueddine Bourougaa, du blog Thala solidaire, critique également M. Essebsi qui,“lorsqu’il prétend que derrière l’affaire Rajhi il y a une main invisible (…) ne fait que jeter l’amalgame dans le marché des rumeurs et réduit d’autant plus la confiance de la population envers ce gouvernement de misère”“Ce genre de premier ministre ne rassure pas, n’encourage pas, n’ouvre pas de perspectives en mesure de calmer la rue et nous ramène malheureusement au mépris langagier et aux maladies de grandeur caractéristiques de l’époque de Bourguiba…”, conclut-il.
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Sur la page Facebook du groupe Tunisie, des internautes répondent à la question “quelles sont vos impressions après le débat avec Béji Caïd Essebsi ?”
Sur la question de la répression policière, M. Essebsi n’a pas davantage convaincu la blogosphère. Imed Bahri estime ainsi dans le journal électronique Kapitalis que Béji Caïd Essebsi “s’est fait l’avocat de l’appareil sécuritaire”, en justifiant ses dérapages dans la capitale par le “choc psychologique et [la] crise de confiance” qu’il traverse. “Dire que les réponses de M. Caïd Essebsi concernant les questions sécuritaires n’ont pas été convaincantes et encore moins rassurantes est un euphémisme. Attribuer les dérapages sécuritaires à de mystérieuses ‘parties qui ne veulent pas que les élections soient organisées dans les délais fixés’ est une manière de botter en touche et d’esquiver une question qui préoccupe au plus haut point les Tunisiens”, estime-t-il.
Béji Caïd Essebsi “m’a vraiment déçu, renchérit Henda Hendoud sur son blog,lorsqu’il a menacé le peuple. Sécurité ou liberté ? Démocratie ou économie ? Des élections ou des manifestations ? Cette politique de chantage n’est pas digne d’un gouvernement provisoire qui a promis à un peuple révolté de mener à bien sa révolution”. Et de conclure : “à quand une vraie rupture avec le passé ? A quand des élections libres qui mettront fin à tout ce flou, ces injustices et ce vide ?” Les craintes se multiplient en effet quant à un report des élections et des groupes se forment déjà en ligne, à l’instar du groupe Facebook “Tous contre le report des élections après le 24 juillet”.
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Sur la page Facebook du groupe Union des Tunisiens indépendants, des appels sont diffusés pour soutenir le premier ministre de transition et organiser des manifestations de soutien à la coupole de la Menzah.
Mais, nombreuses sont également les voix à s’élever ici et là contre ceux qui seraient tentés de plonger à nouveau la Tunisie dans un état d’instabilité en appelant le gouvernement à la démission. Sur sa page Facebook, le groupe Union des Tunisiens indépendants publie ainsi une note intitulée “j’ai honte et j’ai mal”. Il y dénonce “une minorité qui s’est mise en avant pour parler en mon nom, au nom des 11 millions de personnes qui ne parlent pas. Une minorité qui présente certes certaines demandes légitimes et logiques, mais cela lui donne-t-il pour autant le droit de m’impliquer simple citoyen et de parler à ma place ? Cela lui donne-t-il le droit de se proclamer protectrice d’une révolution populaire qui a englobé toute la Tunisie ?? Je me lève contre la dictature de la rue, cette dictature diffamatoire qui n’a ni foi ni lois dictature basée sur les ouï-dire et sur des preuves soi-disant ‘irréfutables’ et de sources sûres pêchées sur Facebook et dans des articles à l’origine obscure. Je me lève contre ces pseudo défenseurs de la révolution qui veulent raffler la mise et prendre le contrôle du pays !!”
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